« On entend beaucoup les grands groupes, par la voix de leurs dirigeants, moins l'édition indépendante: nous voulons nous adresser au grand public pour que les lecteurs sachent qu’il y a d’autres façons de consommer les livres et que ce n’est pas pareil de les acheter chez un gros éditeur ou chez un petit », explique Valérie Cussaguet, fondatrice de la maison Les fourmis rouges, avant de préciser que « l’ objectif n’est pas de créer un clivage entre les éditeurs mais simplement de rappeler qu’on existe aussi ! » Elle est, avec cinq autres éditeurs - Laurence Faron (Talents Hauts), Christine Morault (MeMo), Jean Poderos (Editions Courtes et Longues), Loïc Jacob et Chun-Liang Yeh (Hongfei) – à l’origine de cet appel intitulé « Ce qui dépend de nous ».
Surproduction
« Depuis des années, la vitalité de l’édition française a pris le visage d’une surabondance heureuse et insouciante, matérialisée par une offre pléthorique prétendument désirée et sans cesse renouvelée. Hélas, la situation cache une tout autre réalité : une surproduction, néfaste pour l’environnement et qui inonde les librairies, noie une production éditoriale de qualité, plus audacieuse mais moins visible, écourte toujours plus la vie des livres, intensifie les retours et le pilonnage des ouvrages non vendus, et accentue finalement la précarité des artistes », dénoncent-ils. Si, selon eux, cette surproduction profite aux grands groupes, son coût « pèse injustement sur les maisons d’édition indépendantes que la crise actuelle écrase un peu plus encore, faute pour elles de disposer de réserves en trésorerie ».
Inquiets que le déconfinement ne change rien à cette situation, ils craignent « qu’une fois de plus, les livres des maisons d’édition indépendantes, moins nombreux parce que résultant d’une production raisonnée, soient moins visibles, donc moins vendus et bientôt retournés en masse à des maisons financièrement très ébranlées ». Et s’alarment des conséquences : « L’édition indépendante payera un lourd tribut à la crise si rien d’autre n’est fait, le paysage de l’édition française s’en trouvera arasé, appauvri, la création perdra un bastion, la diversité un éminent représentant, la librairie indépendante un supplément d’âme, les bibliothèques et événements littéraires un terreau fertile, les lecteur·rices mille occasions de découverte, de réflexion et de bonheur » .
Le choix de la différence
A l’heure où les Français réfléchissent de plus en plus à des modes de consommation différents, les signataires sont convaincus qu’une « consommation responsable » est également possible dans le monde du livre. Refusant « la sombre fatalité », ils aspirent « à faire de ce moment de fragilité une force favorable à l’établissement de bonnes pratiques au service du livre, de la culture et plus largement de la société ».
Ils en appellent donc aux « lecteurs-trices ». « Après la levée du confinement, revenez en librairie et laissez les libraires vous faire entendre le choix de la différence, de la création, de l’audace (…). Au moment de votre choix, ne sous-estimez pas la portée de votre engagement ». Aux libraires, les éditeurs rappellent que leurs « sorts sont liés et qu’une certaine idée de l’essentiel en dépend ». « Faisons du choix d’un livre, l’occasion d’un enrichissement collectif. Cela dépend de nous », concluent-t-ils.